J’ai passé 2 jours aux Assises nationales de l’Observatoire du stress et des mobilités forcées de France Télécom, sur fond de guérilla autour des audits pour risques psychosociaux. Instructif !
La mode de l’audit en risques psycho-sociaux (RPS) pour réaliser des rapports qui — au dire même de certains cabinets qui les réalisent — finissent souvent au fond d’un tiroir sans être appliqués, possède ses effets pervers.
Tous les plus gros cabinets de conseil sont actuellement en train de se livrer une guerre à la légitimité pour être en mesure de décrocher des contrats d’audit RPS sur le marché du stress.
Pour pouvoir réaliser de tels audits RPS en tant qu’experts choisis par les CHSCT (mais rémunérés par les entreprises), les cabinets de conseil en RPS doivent obtenir un agrément « expert CHSCT » du Ministère du Travail, décerné par la Direction générale du travail (DGT).
Voila ce qu’en dit le site d’actualité MIROIR SOCIAL dans une brève publiée le 9 décembre 2010 dernier :
Ça bouge de tous les côtés sur le front des intervenants en risques psychosociaux. Cette année, venus de tous les horizons, les candidats à l’agrément d’expert CHSCT se sont multipliés en se revendiquant comme des spécialistes du sujet. Dans le même temps, la Direction Générale du Travail (DGT) achève un document d’aide à l’élaboration d’un cahier des charges partagé et une Fédération des Intervenants en Risques Psycho-sociaux vient de voir le jour. (Par Rodolphe Helderlé, journaliste).
Plus d’infos en cliquant sur MIROIR SOCIAL : « Trois façons de faire le ménage chez les spécialistes des risques psychosociaux »
Ayant passé 2 jours, les 9 et 10 décembre 2010 derniers, aux Assises nationales de l’Observatoire du stress de France Télécom (créé par les syndicats) pour m’informer, je n’ai pas été déçue du voyage et j’ai pu apprendre le dessous des cartes d’un certain nombre d’événements, tout en m’informant sur l’actualité de France Télécom qui n’est pas piquée des hannetons.
Selon ce que j’ai entendu de source autorisée, le Ministère du Travail serait en train actuellement de revoir le cahier des charges de sa procédure d’agrément « expert CHSCT » pour les cabinets de conseil en RPS.
L’une des nouvelles clauses (dans les tuyaux) aurait pour but d’éviter le conflit d’intérêt des cabinets choisis comme experts par les CHSCT, alors que ces cabinets ont par ailleurs d’excellentes relations commerciales avec les directions des entreprises sur d’autres missions de conseil. Objectivité, quand tu nous tiens !
D’où la création d’un label à travers cette nouvelle fédération créée par de gros cabinets de conseil, dont le jury auto-proclamé va s’agréer lui-même et agréer ses petits copains des autres cabinets fondateurs en tant que pros des RPS. Adieu l’agrément DGT dont ils n’auront plus besoin pour avoir l’air légitime ! Et bonjour le monopole !
Ce label permettra aux cabinets de la susdite fédération de couper l’herbe sous le pied des syndicats en réalisant des audits RPS demandés par la Direction et non plus par les CHSCT. Le droit des CHSCT de demander un audit RPS serait en effet remis en cause et risquerait de disparaitre dans les temps à venir.
J'ai a déjà vu auparavant une emprise similaire pour faire main basse sur un marché juteux, avec la création des associations de coachs. Elles furent créées à chaque fois par un petit noyau de coachs auto-élus aux commandes des Conseils d’administration, dont le véritable but était de se partager les parts du gâteau sur le marché du coaching…
Et pour être agréé chez eux, les autres coachs doivent leur donner une liste avec les noms et coordonnées de tous leurs clients ! Une liste où, très franchement, je n’ai jamais eu envie que des concurrents mettent leur bout du nez ! Et oui, les concurrents, moi, je n’ai pas confiance en eux (et vous ?). Donc pas d’agrément coach, je n’en ai pas besoin. J’ai déjà mon diplôme de coach, obtenu il y plus de 10 ans.
Je suis partie en courant de ces associations de coachs où l'on était jaloux de moi parce que je passais souvent dans les médias afin de faire connaître mes idées. On a même voulu m'exclure de l'une d'entre elles le jour où je suis passée sur France 2 dans une émission de Delarue. Et j'ai récemment découvert à ma grande stupéfaction qu'une autre de ces associations de coachs interdit carrément à ses adhérents de passer dans les médias, sous un prétexte déontologique. Mais les fondateurs et autres présidents divers et variés, un petit groupuscule, eux seuls, ils en ont le droit !
Reprenons cependant l’histoire des agréments « experts CHSCT » de la DGT, car elle va encore plus loin que l'interdiction médiatique des associations pseudo-confraternelles de coachs. Elle a aussi une dimension idéologico-politique.
En réalité il existe sur le marché deux sortes de cabinets de conseil RPS :
· ceux qui sont idéologiquement orientés « direction » (tendance ultralibéralisme à tout crin pour hypnotiser les DRH et les PDG) ;
· et ceux orientés « syndicats » (tendance vernis autogestionnaire pour hypnotiser les CHSCT).
Le plus drôle est que, parmi les cabinets orientés « syndicats », certains sont de véritables PME employant une ou plusieurs centaines de salariés et qui ont un très important turnover de leurs consultants ne voulant pas finir en burn out.
Donc en termes de recommandations dans les audits sur la gestion des fameux RPS, chaque type de cabinet avance ses arguments idéologiques à travers son audit. Et tout le monde sait que l’idéologie fonctionne souvent en dépit du bon sens et du pragmatisme.
Il semblerait que c’est pour cela (entre autres) que personne n’arrive à se mettre d’accord sur les préconisations des audits RPS et que celles-ci ne sont pas souvent appliqués par les Directions des entreprises.
La seule solution qui rassemble tous les suffrages des Directions semble être celle du « ticket psy », mis en place dans beaucoup d’entreprises. Or envoyer les gens qui souffrent au travail téléphoner à un psychologue payé par l’entreprise et ceci sans changer les causes structurelles de leur malaise, n’est pas une solution et en plus ça coute très cher.
D’après ce que j’ai entendu aux Assises de l’Observatoire, de la part de divers représentants du personnel provenant d’entreprises différentes, c’est avec le « ticket psy » que certaines entreprises appliquent les recommandations de l’accord national sur le harcèlement et la violence au travail (ANI de mars 2010), parfois pour se donner bonne conscience peut-être. Mais en tous cas, acheter l’abonnement au « ticket psy » c’est appliquer l’ANI au minimum pour un coût maximum. Et c’est aussi heurter les salariés qui voient bien à quel point l’entreprise fait semblant, voire se moque carrément d’eux, car elle préfère payer plutôt que de changer.
Tout cela alors qu’appliquer cet ANI sur le harcèlement ne demande qu’un peu de bon sens et d’intelligence, puisque des recommandations concrètes sont demandées légalement, qu’elles ne coûtent pas cher et que le volet formation de l’ANI peut être pris en charge par le budget formation de l’entreprise. Voila ce qui serait un début — au moins — de solution dans nombre d’entreprises, parmi lesquelles France Télécom.
Aux Assises nationales de l’Observatoire du stress de France Télécom, j’ai entendu un consultant agréé RPS (et orienté syndicats) défendre à la tribune de la conférence des préconisations d’audit proches de l’autogestion en affirmant que les salariés doivent être associés aux décisions stratégiques de l’entreprise.
Or la société dans laquelle nous vivons n’est pas autogestionnaire, elle est capitalistique. Face à cela, sans remettre en question le fonctionnement fondamentale de l’entreprise, le consultant sérieux ne peut pas faire moins qu’en limiter les dérives.
Des conseils d’autogestion ne risquent donc pas d’être appliqués, ce qui rend les rapports d’audit des cabinets orientés « syndicats » complètement lettre morte car ils ne seront jamais pris au sérieux par les entreprises.
Même les syndicalistes présents dans la salle étaient pliés de rire en écoutant ces conseils ! Ils ne se sont pas privés de lancer des réflexions du type : « Ah, mais tu es pour le fonctionnement démocratique, toi ! » au consultant qui s’était aventuré sur ce terrain.
D’un autre côté, je vois pas comment les cabinets de conseils orientés « direction » et à l’idéologie ultra-libérale (ceux qui se sont regroupés dans la fameuse fédération) vont pouvoir régler des problèmes que certains d’entre eux ont contribué à créer, en vendant aux entreprises des stages de formation au management par la terreur et autres coachings d’équipes par les sports extrêmes, sans oublier les formations à l’entretien d’évaluation méthode Gestapo et les coachings individuels où il faut tout répéter à la direction sinon le coach n’est pas payé (ceux que j’ai justement refusé de faire et ça m’a mise au chômage)… Bref, j’en passe et des meilleures…
Donc qui aura la légitimité pour traiter et réparer les conséquences du harcèlement managérial dans les entreprises ?
Je parle de la vraie légitimité, celle qui vient du cœur et pas d’un bout de papier quelconque, agrément par un ministère, adhésion à un groupement confraternel ou tout label estampillé d’une manière ou d’une autre.
Dans son communiqué de presse, la nouvelle fédération des cabinets de conseils RPS affirme vouloir lutter, à travers sa création (je cite de mémoire et en substance) contre les « gourous » de la relaxation anti-stress et contre les consultants « indépendants ».
J’ajoute : contre les indépendants… comme moi (je ne fais pas de relaxation, je le précise, je veux agir sur les causes de façon pragmatique, sans faire des rapports qui finiront dans un tiroir)!
Est-ce que des consultants comme moi, indépendants à plus d’un titre car ils ont gardé les mains propres face aux dérives du coaching instrumentalisé et des formations au harcèlement managérial, feraient peur à des mastodontes du conseil ?
J’en laisse seuls juges mes lecteurs fidèles de ce blog, ceux pour qui j’écris afin de les convaincre de faire appel à nos services ! Je fais partie d’un réseau de professionnels pluridisciplinaires, spécialistes du harcèlement moral, du management et de l’organisation. Je fais aussi partie de DIDAXIS GROUP, qui rassemble 2 500 consultants indépendants en France.
Donc oui, on veut nous cantonner dans une image de gourous et de gens peu fiables parce qu’en réalité, nous sommes dangereux commercialement pour les grosses sociétés de conseil : les consultants indépendants comme moi qui sont honnêtes, éthiques, sans parti-pris idéologique d’un côté ou de l’autre, sont aussi BEAUCOUP MOINS CHERS !
Quant aux Assises nationales de l’Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom, elles sont malheureusement passées inaperçues de l’ensemble des médias.
Pourtant, si la presse avait parlé de ces Assises, on n’aurait pas seulement appris que pas grand-chose ou presque rien n’est fait pour remédier aux situations créées par le Plan Next (plan pour faire partir 20 000 personnes pour pas un sou).
On aurait également pu apprendre que ça empire pour les victimes chez France Télécom. Parce que, quand on ne fait rien ou qu’on est dans le déni, les situations ne peuvent qu’empirer, c’est bien connu…
En effet, l’année 2010 a vu un triste record se produire au niveau du nombre de suicides dans cette entreprise, pire qu’en 2008 au plus fort de la crise du Plan Next. En effet, le 25è suicide de 2010 à France Télécom est arrivé peu avant la date des Assises début décembre.
La Commission nationale de réforme de France Télécom, chargée de traiter administrativement les dossiers des victimes, serait aujourd’hui la principale responsable de ces suicides.
Pris dans un labyrinthe kafkaïen de paperasses, avec des dossiers qui disparaissent même mystérieusement, les agents de France Télécom qui sont tombés en dépression chronique et ne peuvent plus travailler, se retrouvent dans l’impasse. Ils doivent faire reconnaitre leur dépression comme accident de service pour pouvoir être indemnisés décemment et vivre à peu près une vie normale sur le plan financier. Or France Télécom, pour éviter les dépenses, renâclerait à admettre l’accident de service afin de faire porter les frais d’indemnisation à la Sécurité Sociale au lieu de prendre ses responsabilités.
C’est la fameuse Commission de réforme de France Télécom, à la fois juge et partie, qui décide si la maladie psychique de l’agent (fonctionnaire) relève ou non de l’accident de service. Elle examine les dossiers dont l’immense majorité est rejetée.
Ainsi, lors des Assises, des salariés fonctionnaires de France Télécom ont pris le micro pour témoigner n’avoir touché aucun salaire ni revenu depuis des mois. D’autres ne touchent plus que 30% de leur salaire. D’autres encore se battent depuis 3 ans pour faire reconnaitre leur cas. D’autres enfin sont obligés de venir de province à leurs frais pour défendre leur dossier devant la Commission et encore, c’est parce que leur syndicat le leur conseille. Sinon, le dossier passe en leur absence. Et s’ils sont là, leur dossier passe en 5 mn, avant ou après celui d’un suicide avec la famille en pleurs dans l’escalier. Bref, des conditions inhumaines !
(Seul bémol : France Télécom vient d’accepter de rembourser aux agents leurs frais de déplacement pour se rendre à la Commission, mais cette mesure favorable n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan des problèmes qui restent à résoudre).
Face à ces drames atroces, le nouveau DG de France Télécom Stéphane Richard a engagé un « Médiateur », ancien DRH chez Air France. La mission du nouveau médiateur serait de traiter administrativement les 300 cas de salariés en arrêt de travail prolongé pour dépression. Mais les syndicats affirment qu’il y aurait 2 000 cas en tout et pas seulement 300. La différence est de taille.
Et quid des autres salariés qui sont toujours en poste et qui souffrent ?
En effet, quoiqu’il en soit de l’idéologie, sur le terrain, j’ai appris que les 107 préconisations du rapport d’audit RPS demandé par le CHSCT de France Télécom ne sont toujours pas appliquées.
Prenons au passage un simple exemple : l’embauche d’un Médiateur national et orienté RH, pour régler les problèmes administratifs des agents n’avait pas été préconisée dans le rapport d’audit qui recommandait plutôt l’appel à une équipe de médiateurs (consultants extérieurs) pour faciliter le relationnel dans l’entreprise.
L’Observatoire du stress et les syndicats ne savent plus quoi faire… Les salariés victimes non plus. La Sécu (donc l’Etat et le contribuable) paye en partie les pots cassés.
Après avoir harcelé ses salariés, France Télécom les laisse mourir de faim avec leurs familles, en refusant administrativement qu’ils soient rémunérés décemment. Et c'est pour ça qu'ils se suicident... Est-ce humain d’agir ainsi ?
Quant à l’entreprise, elle est perdante, parce qu’un jour, la vérité va éclater. Et ce sera la 2è affaire France Télécom : après les suicides du Plan Next, les suicides kafkaïens provoqués par l’Administration.
Et est-ce que le PDG Stéphane Richard aura toujours du travail après ça ? Une gestion de crise aussi déplorable, ça fait tache sur un CV. Y compris sur le CV d’un PDG énarque qui fréquente les allées du pouvoir et les couloirs des ministères.
Pourtant, la négociation par les intérêts existe, c’est même le B-A BA de la gestion des crises.
Mais il ne peut pas y avoir de négociation s’il n’y a pas de confiance. Et la confiance, ça s’acquiert par des actes, pas par des communiqués de presse dans les journaux.
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